Vous souvenez-vous en Décembre 2019, lorsque les négociations internationales sur le climat ont échoué à Madrid, et qu’il semblait que tous les progrès réalisés depuis l’accord de Paris reculaient ?
Il est difficile de situer un point dans le temps avant le COVID19, mais ceci est notre point de départ :
- Issus d’organisations internationales travaillant sur le développement durable, le changement climatique et les conseils scientifiques pour les décideurs politiques, nous avons eu une des ces conversations révélatrices à Paris à la fin 2019 sur la façon dont le climat était désormais partout – grâce à Greta – mais que les discours dominants n’étaient pas alignés avec ce que nous ressentions.
- En fait, beaucoup de ces discours dominants continuaient de se reposer sur des incitations aux hautes autorités et sources de pouvoir à “régler” le problème. Cela nourrissait un sentiment croissant d’impuissance, d’anxiété et de désespoir.
- Nous n’avions pas de solution, plutôt une intuition que cette discordance pourrait être adressée par l’action individuelle. Nous nous sommes donc réunis pour concevoir une activité qui consistait à créer de petits cercles intimes de pratique narrative dans le but de faire table rase et de recommencer à zéro.
Cet article décrit comment nous avons commencé cette expérience à l’époque pré-COVID19, et ce que nous avons appris en cours de route tout en adaptant l’activité au contexte du confinement en France.
Nous espérons que cette histoire pourra être une ressource pour d’autres personnes qui pourraient penser à se réunir comme nous l’avons fait pour “retourner à la table de travail” sur les récits sur le climat, ou les autres grands changements systémiques actuels.
Origines du Cercle
En Décembre 2019, Paris était paralysé par une grève des transports publics en raison du plan de réforme des retraites du gouvernement. Dans le chaos pendant lequel la population marchaient deux, trois, quatre heures par jour juste pour se rendre au travail ou chez le médecin, le sociologue Bruno Latour a publié un article dans Les Echos, rappelant – comme il le fait régulièrement – que la planète est en danger et que tout ce que nous nous disons sur le climat ne fonctionne pas.
Cet article a touché une corde sensible chez beaucoup de gens, et nous a inspiré une réflexion sur ce que nous pourrions faire dans le sens de ce que Latour suggérait. Il s’agissait de nous réunir en petits groupes et de parler de ce qui nous importe le plus, de ce pour quoi nous vivons, de ce que nous voulons protéger. De cette manière, comme les cahiers de doléances datant de la Révolution Française dans lesquels le peuple documentait la liste de ses griefs et de ses espoirs, nous pourrions avoir l’espoir de transformer nos discussions sur des futurs climatiques positifs en des réalités, au lieu de conserver cette connaissance impuissante qui était devenue la norme.
Nous avons donc créé le “Cercle narratif du climat” et trouvé un public intéressé au Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI) de Paris, dirigé par un groupe d’étudiants internationaux en masters.
Mytam Mayo-Smith nous a aidés à rassembler un groupe d’étudiants et a été un guide tout au long de la conception et de la réalisation de l’activité.
“Bien que le changement climatique soit désormais très présent dans les médias, il peut être une rencontre très solitaire. J’avais l’habitude de réfléchir et de traiter les problèmes liés au réchauffement climatique seule. Les articles de presse, y compris les séquences vidéos d’inondations, d’ouragans et de sécheresses ont pris le dessus sur mon imaginaire personnel et ont créé un sentiment de panique que j’ai choisi d’enterrer temporairement pour garder un sens de la vie normalisé. Le cercle narratif du climat était un espace utile pour traiter les récits et les faits liés au climat et à la nature.” — Mytam Mayo-Smith, coordinatrice du Cercle du Discours Climatique au CRI
Première Session: L’énergie dans la salle nous a impressionnés
Le coup d’envoi en février a été passionnant, et la promesse de la prescription de Latour était bien présente dans la salle alors que nous avons passé trois heures ensemble un samedi matin à partager sur le premier thème :
Décris la situation dans laquelle tu te trouves, après avoir lu une série de textes allant d’un commentaire sur le système des points de basculement de la planète Terre du journal Nature, à un discours de Greta Thunberg et d’un extrait du roman “The Overstory”, lauréat du Pulitzer, de Richard Power. (Liens en anglais)
L’énergie, l’émotion et la créativité dans la salle se sont développées tout au long de la session, qui s’est terminée par un exercice d’écriture créative et un moment de partage autour de ce dernier.
Si vous voulez vous imaginer le format, pensez: cercle de partage + club de lecture + atelier d’écriture.
Et ça a marché. Presque par magie. En se reconnectant à ce qui est vivant et important pour nous, et en connectant cela à un récit sur le changement climatique.
Nous avons été vraiment enthousiasmé par l’énergie et l’intelligence des étudiants de la première session.
Les gens ont exprimé leurs espoirs, leurs craintes, leurs aspirations, leurs frustrations. Tout cela s’est transformé en une masse d’énergie qui n’a cessé de croître. L’un des participants a écrit:
“Si ma maison était en feu, je prendrais le feu avec moi.”
La salle a explosé sous un tonnerre d’applaudissements. On avait hâte de tout recommencer deux semaines plus tard.
Deuxième session: Trouble à la veille du confinement
Notre prochaine réunion était prévue pour le Samedi 14 Mars. Une grande marche pour le climat était prévue cet après-midi là. Mais le COVID19 était partout. Le gouvernement français n’avait pas encore ordonné le confinement (ce qui se produisit deux jours plus tard lorsque Macron déclara: “Nous sommes en guerre”). Nous avons décidé de jouer la carte de la sécurité et de rassembler le groupe en ligne. Tout le monde n’était pas content de cette décision.
Nous avons suivi le même format, en prenant cette fois la question de Latour: “Pourquoi vivez-vous?”. Nous avons lu des textes de l’Ecotopian-Lexicon, incluant le mot Inuit “Sila”, nous avons lu un texte sur les récits environnementaux, qui avait pour habitude de faire appel à un ordre supérieur, et comment les récits de ré-ensauvagement offrent une alternative nouvelle et responsabilisante à cela.
“Nous avons parlé du “Sila”, un mot qui fait référence à l’interconnectivité de tout ce qui nous entoure et à la responsabilité qu’ont les humains de trouver un équilibre entre leur environnement intérieur et extérieur. L’interconnectivité de notre cosmos fait que nous finissons par payer pour chaque action que nous entreprenons en tant que race et souligne à son tour l’importance d’assumer la responsabilité de ce que nous faisons, cela peut avoir de très grandes implications” — Shibu Antony, participant du CRI.
Même support, mêmes personnes. Mais l’énergie a perdu de son intensité sur Zoom, les gens se sont rapidement essoufflés et n’ont pas pu s’engager. C’était décourageant et nous nous sommes demandé si c’était une de ces activités qui ne pouvaient fonctionner qu’en personne.
C’était ce que universellement des millions de gens étaient en train de vivre à travers le monde, en suivant leurs événements, leurs programmes scolaires et universitaires, leurs manifestations, leurs cours de yoga en ligne.
On se sent déconnecté. Il faut de l’énergie pour s’engager et le retour sur investissement est faible. Les gens sont vraiment distraits. Si on doit parler, on a l’impression que personne n’écoute. Tout prend trop de temps. On veut aller aux toilettes, on veut consulter Twitter, on veut s’éloigner.
Troisième Session: Lâcher prise. La voie du renouveau.
C’est lors de la préparation de la session finale qu’un apprentissage plus profond a commencé.
Pour le faire naître, nous avons dû abandonner ce que nous visions dans le monde d’avant le COVID19. Ce qui était de générer une nouvelle série de récits sur le climat à partir d’un exercice de partage et d’écriture approfondi qui nécessitait l’énergie de personnes se sentant en sécurité dans une pièce commune pour s’enflammer.
Notre point de départ a été de rationaliser le contenu et de nous recentrer sur ce à quoi les gens tenaient le plus à ce moment-là – 10 jours après le début du confinement.
Ce qui les importait, c’était de se soutenir mutuellement dans ce moment exceptionnel, ce moment intensément humain.
Nous avons donc construit dans cette perspective un format plus court avec du temps pour partager autour de cette troisième question : « Que voulez-vous protéger ? »
Cette fois, nous avons laissé tomber les lectures et sommes passés directement aux instructions d’écriture. Nous avons passé 15 minutes avec nos caméras éteintes, mais en restant en ligne, pour nous tenir mutuellement « responsables » durant l’exercice.
“Le virus s’est également révélé être un test de solidarité et de responsabilité que les gens ont envers leurs semblables. Une de mes réflexions a porté sur comment les êtres humains ont évolué et sur la manière dont les jeunes générations sont aujourd’hui activement impliquées dans la lutte contre ces problèmes. Par rapport à la génération précédente, où l’accent était principalement mis sur son propre bien-être et celui de sa famille, on constate une évolution majeure vers une prise de responsabilité effective pour s’assurer que les personnes qui nous entourent ne souffrent pas, car notre bien-être dépend aujourd’hui de leur responsabilité” — Shibu Antony, participant du CRI.
Leçons apprises pour le prochain Grand Inconnu.
Comme en temps de guerre, nous n’avons aucune idée d’où nous serons tous dans trois ou six mois.
Mais qu’avons-nous appris?
Nous avons finalement constaté que le groupe a découvert un réconfort et une thérapie à partir de l’espace créé pour écrire ensemble. Ce moment spécial et tranquille de 15 minutes où nous avons tous éteint nos caméras Zoom et écrit dans nos carnets. Tout le monde a appris quelque chose sur l’écriture qui s’y est déroulée. Sur ce qui se passe pour eux en ce moment même. Beaucoup d’entre nous ont réalisé que dans nos vies normales et chargées, nous ne prenons presque jamais le temps d’écrire librement et de l’intérieur. Cela a créé une expérience commune qui a même défié la dé-connectivité intrinsèquement lié au format Zoom.
“Le cercle a affirmé que le traitement des émotions est important en temps de crise, et qu’il est préférable de le faire avec un groupe restreint. En commençant le cercle par des questions réfléchies, j’ai eu l’occasion de me concentrer et d’être introspectif. L’écriture est thérapeutique et ralentit mon esprit. Pouvoir écrire mes réponses et les partager m’a rappelé mes valeurs et la façon dont je cherche à vivre. Partager avec d’autres, qui n’avaient pas l’intention de juger, m’a fait sentir sain d’esprit et approuvé” — Mytam Mayo-Smith, coordinatrice des Cercles au CRI.
Quelques réflexions pour l’avenir.
- Cette vibrante voix de la jeunesse manque à beaucoup de milieux de la politique climatique professionnelle et d’activistes. On ne parle pas de la visibilité de la jeunesse —merci Greta — mais plutôt de leur voix aux tables de l’élaboration des politiques et de la prise de décision. Lorsqu’il s’agit d’imaginer l’avenir, la génération de Mytam sont les experts. Ignorez-les à vos risques et périls.
- Alors que les organisations commencent à s’adapter à une nouvelle normalité, nous pensons que cet exercice pourrait faire partie du processus de réoutillage interne. Permettre aux équipes et aux groupes de commencer à rédiger les histoires qui façonneront leur avenir collectif, les tropes narratifs qui informeront notre sens des responsabilités. Cela pourrait-il devenir un exercice de cohésion d’équipe en vue? Pourrait-il aider à rassembler et à compiler les nouvelles chartes de durabilité des organisations dans une perspective de valeurs ?
- Les participants du cercle ont été unanimes à dire que cette pratique d’écriture a de la valeur, mais qu’elle est difficile à intégrer dans une routine quotidienne. Comment pouvons-nous nous réunir pour nous soutenir mutuellement et en faire une habitude ?
Construisons ensemble un pont de ressourcement vers la guérison par le récit !
Enfin, nous souhaitons vous faire part d’une invitation à nous contacter.
Si vous concevez des événements en ligne axés sur la durabilité, le climat ou si vous souhaitez simplement repenser l’avenir, faites-nous savoir si vous souhaitez inclure un cercle narratif dans l’un de vos projets. Nous serions heureux de collaborer à la conception et à l’animation d’un tel cercle en ligne.
Nous pouvons vous proposer tout ce que vous souhaitez, du « kit de démarrage » à une approche personnalisée pour les besoins de votre groupe.
Idem si vous faites un travail d’équipe et que vous pensez que cette activité permettrait d’amener les gens à partager plus profondément les valeurs qu’ils veulent faire apparaître dans l’économie post-COVID19.
Enfin, si vous êtes impliqué dans l’apprentissage en ligne – que ce soit au niveau scolaire ou pour adultes – et que vous pensez que cela pourrait correspondre à vos programmes d’études, n’hésitez pas à nous le faire savoir !
Rédigé par Denise Young & Stina Heikkilä, traduit par Alix Vanderschooten