J’enseigne, je code et je partage – Episode 4

Une série de portraits-entretiens à la rencontre des enseignants-développeurs.

« L’originalité du logiciel libre, c’est sa licence et la philosophie qui le sous-tend. »

Arnaud Champollion a toujours enseigné à l’école élémentaire. Il sera ERUN (Enseignant Référent aux Usages du Numérique, détaché de classe) dans la circonscription de Digne-les-Bains à compter de la rentrée scolaire 2021. Membre de l’APRIL , il anime le Groupe d’Utilisateurs Linux Local à Digne (Association Linux Alpes), ainsi qu’un groupe de contributeurs à OpenStreetMap. Il a créé http://ecole.edulibre.org/presentation avec Cyrille Largillier, un site de partage où toutes les ressources sont et seront sous licences libres.

Vous nourrissez depuis longtemps un intérêt pour les biens communs numériques et notamment pour les logiciels libres. Comment avez-vous fait la jonction entre cet intérêt et votre métier d’enseignant ?

ARNAUD CHAMPOLLION : Tout simplement parce que l’éducation de futurs citoyens fait partie du rôle de l’enseignant. Nous avons un rôle de prescripteur vis à vis des élèves, tout ce qu’on leur met entre les mains va en partie forger leurs futures habitudes de consommation. Or, le choix des outils que l’on peut utiliser en classe n’est pas seulement un choix technique, c’est aussi un choix éthique qui nous engage sur la formation du citoyen. Voilà pourquoi il me semble que l’école devrait favoriser l’usage de logiciels libres. D’autre part, pour les élèves, cela leur permet de pouvoir travailler à la maison avec des outils qu’ils peuvent installer sans les problèmes de licence qu’ils pourraient rencontrer avec des logiciels propriétaires. Mais là encore, il ne s’agit pas seulement de pouvoir ou non installer des logiciels. Cela permet de les initier à la création de communs numériques et d’élaborer un savoir commun, y compris pour de jeunes enfants, en participant par exemple à Wikimini (Wikimini est une encyclopédie en ligne destinée aux enfants, accessible librement sur Internet. Elle a la particularité d’être écrite par des enfants et des adolescents – NDR).

Justement, vous enseignez dans une classe de primaire. Pensez-vous qu’à cet âge, les enfants ont déjà conscience de cette dimension éthique que vous défendez ?

A.C : Oui, parce que je prends le temps de leur expliquer et de leur présenter les outils sur lesquels nous travaillons. Et lorsqu’on travaille sur des communs numériques (par exemple ce que nous faisons avec OpenStreetMap), je les sensibilise au fait que leur travail pourra ensuite être utilisé par une autre classe.

De quelle façon l’école où vous exercez est-elle équipée en matériel informatique ?

A.C : Pour les écoles primaires, ce sont les communes qui sont responsables du matériel. C’est donc la ville qui décide et achète le matériel informatique qui va être mis à disposition des classes. Il arrive que les enseignants puissent avoir leur mot à dire, mais c’est assez rare.

A.C : Dans les écoles de la ville où j’enseigne, les seuls ordinateurs à disposition sont un portable de direction et, dans chaque classe, un poste fixe relié au vidéoprojecteur. Ils fonctionnent tous avec le système Windows. En ce qui concerne le matériel destiné à être manipulé par les élèves, pas d’ordinateurs, à la place 12 Ipad (tablettes Apple). Dans ma propre classe, j’ai deux ordinateurs portables de récupération sur lesquels j’ai installé PrimTux, une distribution Linux spécialisée pour l’école primaire en France, mais c’est une initiative personnelle.

Globalement, quelle perception ont vos collègues de ces outils ?

A.C : Ce n’est pas quelque chose de familier. Il peut y avoir chez les instituteurs un certain recul par rapport au numérique, qui est lié à une méfiance au demeurant justifiée vis-à-vis du « tout-numérique ».  De plus, il y a la crainte, là aussi justifiée, que les enfants soient tout le temps devant des écrans. Enfin, de façon générale, l’informatique reste perçue comme quelque chose de compliqué, et il faut bien avouer que l’équipement dans les écoles primaires n’est pas fameux, on fonctionne avec du matériel qui est souvent obsolète, qui ne marche pas toujours bien. Ça représente donc une difficulté pour les enseignants.

Et en ce qui concerne le libre, comment expliquez-vous que se soit installé l’idée que c’est extrêmement compliqué, en comparaison d’outils propriétaires que l’on reçoit clés en mains ?

A.C : Il y a en effet une part de fantasme. Je suis honnête avec mes collègues, je les préviens que commencer à travailler sous Linux, à se passer de Gmail et utiliser Nextcloud (logiciel libre de site d’hébergement de fichiers et plateforme de collaboration), etc., va être un peu compliqué au début. Si on est habitué à ne consommer que des plats surgelés et qu’on décide un jour de préparer ses propres repas, on va mieux manger, mais il faut accepter de faire son marché, de choisir ses aliments, d’éplucher les légumes, et de les faire cuire ; forcément, ça prend un peu plus de temps. Donc, j’aime bien expliquer qu’il y a un petit coût d’entrée, encore que certains logiciels soient très faciles à utiliser… Utiliser Linux au lieu de Windows préinstallé, ce n’est pas difficile, mais il faut l’installer soi-même. Si on a été habitué à utiliser Word pendant 10 ans, il faut un petit temps d’adaptation pour s’habituer à la suite LibreOffice, mais ce n’est pas compliqué. Il s’agit juste de changer ses habitudes, ça demande un petit apprentissage mais ensuite on apprend à dominer la machine plutôt qu’à se laisser dominer.

Pour reprendre ce que vous disiez au début de cet entretien, c’est aussi une question de démarche citoyenne.

A.C : La vertu d’un logiciel libre, c’est avant tout d’être… un logiciel libre. On s’est aperçu voici peu que même Linux n’était pas à l’abri de certains virus ; un logiciel libre n’est pas forcément un plus en termes de fonctionnalités… et puis on pourrait se dire qu’on va adopter un logiciel libre en fonction de sa gratuité, mais aujourd’hui, la plupart des services propriétaires sur internet sont aussi gratuits. L’originalité du logiciel libre, c’est sa licence et la philosophie qui le sous-tend.

A Digne, là où vous résidez, vous animez d’ailleurs une communauté Linux.

A.C : Linux Alpes est effectivement un groupe d’utilisateurs Linux comme il en existe un peu partout en France. Nous sommes présents sur deux départements, les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence, qui sont essentiellement ruraux.  En général, on tient une réunion mensuelle, et on participe chaque année à une manifestation nationale initiée par l’April (Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre , devenue « April – Promouvoir et défendre le logiciel libre »). A cause des restrictions de déplacements, je dois avouer qu’on n’a pas fait beaucoup de réunions ces derniers mois…  

Pour revenir au champ éducatif, vous avez co-créé le site ecole.edulibre.org. Quelle était l’intention initiale ?

A.C : C’est une initiative déjà ancienne, menée avec Cyrille Largillier.  Il s’agissait de créer un dépôt de ressources éducatives libres sur internet. Mine de rien, les enseignants sont assez partageurs ; on trouve sur internet beaucoup de fiches, de plans de travail, d’exercices, etc.  L’idée était de constituer un portail d’échange de contenus pédagogiques sous licence libre. On a beaucoup alimenté le site au début, mais on n’a pas réussi à générer assez de trafic autour de cette initiative pour enrôler d’autres enseignants et qu’on ne soit pas les seuls à poster… 

Ce type d’initiative, et l’utilisation que vous faites en classe du numérique libre, font-ils l’objet d’une évaluation particulière de votre hiérarchie au sein de l’Éducation nationale ?

A.C : De la part de ma hiérarchie, je suis perçu comme quelqu’un qui a des compétences avancées en numérique et qui les utilise avec ses élèves, mais on reste dans l’aspect pragmatique de ce qui fonctionne. Mon engagement pour le logiciel libre, c’est quelque chose que je distille à petites doses, ce n’est pas quelque chose qui les « chatouille » beaucoup. En fait, je pense que l’Éducation nationale n’est pas vraiment au courant du libre ! Mais le positionnement que l’on peut avoir en faveur des logiciels libres peut s’appuyer sur le fameux RGPD (Règlement général sur la protection des données, Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dont les dispositions s’appliquent dans l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne à compter du 25 mai 2018. NDLR).

Vous avez co-créé et animé ce site, vous participez à la liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l’April… Comment percevez-vous l’initiative de Faire école ensemble qui vise notamment à donner une plus grande visibilité à la petite communauté d’enseignants-développeurs ? 

A.C : C’est très bien. Depuis que j’ai commencé à m’intéresser à ces questions, je vois tourner d’autres noms. Déjà, c’est bien de réaliser qu’on n’est pas tout seul dans notre coin à essayer des choses…

Là, on a surtout parlé du site école.edulibre, mais actuellement, je m’investis sur autre chose. Avec l’association Linux Alpes, on développe un projet qui s’intitule CALIEC (Cartes en liberté à l’école). C’est parti d’une idée toute simple : enseignant en CP-CE1,  je peux avoir des besoins qui ne concernent que la tranche d’âge de mes élèves… Parmi les activités sportives que j’organise, je fais beaucoup de courses d’orientation : les enfants ont la carte d’un endroit à visiter, il y a à la fois la course et l’orientation, la notion d’endurance et la recherche de balises, un peu comme dans une chasse au trésor.  Avec des adultes, une course d’orientation peut se dérouler sur des distances qui vont de 10 à 30 kilomètres, il faut chercher des balises cachées dans la forêt, et on peut travailler avec des cartes IGN. Avec des enfants de 5 à 7 ans, la zone de travail n’excède pas 300 mètres, d’abord parce qu’ils n’ont pas une endurance d’adultes, et puis on est responsable de leur sécurité : pas question de les lâcher en forêt ! Avec eux, la course d’orientation va pouvoir se dérouler dans un parc proche de l’école, sauf qu’il n’existe pas de carte pertinente à cette échelle. Alors, j’ai eu l’idée d’utiliser OpenStreetMap (OpenStreetMap est un projet collaboratif de cartographie en ligne qui vise à constituer une base de données géographiques libre du monde (permettant par exemple de créer des cartes sous licence libre), en utilisant le système GPS et d’autres données libres – NDLR), on peut faire du micro-mapping, marquer l’emplacement des barrières,  les intersections de chemins, les lampadaires, les tables de pique-nique, les aires de jeux, etc.  De plus, j’ai envie de faire des cartes personnalisées, notamment avec des choix de pictogrammes en travaillant sur des feuilles de style. J’utilise pour cela un logiciel libre, QGis, qui est un peu compliqué à prendre en main. Mais l’idée, si je crée une symbologie avec cet outil, c’est de pouvoir la transposer à une autre école sans avoir à refaire tout le travail, avec un script qui télécharge les données correspondant aux feuilles de style. Avec le projet CALIEC, nous sommes en train d’écrire un script en langage Python, ce qui fera gagner du temps et rendra cette application accessible à des collègues pas forcément férus d’informatique. Et si une dizaine d’écoles de la même circonscription voulaient travailler ensemble, on pourrait aisément mener des projets communs.

Et puis, en incitant mes élèves à la cartographie de leur quartier, on s’est beaucoup promené, ce qui en soi, est une forme d’éducation physique, mais on a aussi été amené à développer le sens de l’observation, et à poser ultérieurement des questions fort intéressantes : quel est le sens d’un panneau de randonnée, quels sont les espaces réservés aux enfants, y a-t-il des accès pour personnes handicapées, etc. J’ai moi-même porté un regard nouveau sur le monde qui m’entoure, à proximité immédiate de l’école !

Propos recueillir par Jean-Marc Adolphe et Hervé Baronnet

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