Une série de portraits-entretiens à la rencontre des enseignants-développeurs.

« Il fallait pouvoir inciter les élèves à recommencer et à réfléchir. »
Guillaume Berthelot est enseignant de SVT au collège Jean de la Fontaine de Le Mée-sur-Seine (77) a créé le logiciel THYP qui « favorise l’appropriation de la démarche scientifique par les élèves ».
Autres productions : le logiciel Bulle Infinie qui permet d’initier les élèves aux débats et à l’argumentation grâce à un chatbot (“robot de discussion” qui imite les conversations humaines et avec lequel vous interagissez via une interface de chat). Le logiciel Unfake qui permet de jouer à un escape game
Vous faites apparemment partie de cette catégorie d’enseignants qui passe un temps non négligeable, en dehors de vos heures de cours, à développer des outils numériques libres ! Pourquoi faire cela plutôt que d’aller à la pêche à la ligne ?
GUILLAUME BERTHELOT – Bonne question ! En fait, au départ, j’avais besoin d’un outil pour mieux faire comprendre la science à mes élèves. Un simple Powerpoint interactif, ça ne me plaisait pas. Mais je ne savais pas du tout coder. Alors, je m’y suis mis, et progressivement, c’est devenu un hobby. Je peux y passer en moyenne une dizaine ou une quinzaine d’heures par semaine, cela ne me dérange pas. Et toutes ces compétences acquises me permettent de faire, à mon avis, des meilleurs cours… Avec le confinement, j’ai réutilisé ces compétences pour créer ma propre plateforme d’enseignement à distance. Cela m’a beaucoup servi, et ça m’a permis, je pense, de garder pas mal d’élèves en distanciel.
Vous avez donc créé les logiciels sur lesquels vous avez travaillé parce que vous ne trouviez pas « sur le marché » quelque chose qui puisse correspondre à votre attente ?
G.B – Absolument. La plupart des logiciels qui sont proposés en sciences ne permettent en général de faire qu’une seule expérience. Or, il y a quelque chose qui est difficile à faire comprendre aux élèves, c’est la variabilité du vivant, le fait que tous les êtres vivants sont différents. Ainsi, si je fais germer des véritables graines, on va s’apercevoir que certaines n’ont pas germé, peut-être parce qu’on les a mal hydratées ou qu’elles sont déjà mortes… Ces graines qui ne germent pas malgré des conditions idéales, ça n’existait pas dans les logiciels qui étaient à la disposition des élèves. J’ai alors voulu programmer quelque chose qui puisse intégrer cette variabilité du vivant. Des expériences peuvent rater. Il fallait pouvoir inciter les élèves à recommencer et à réfléchir, pas seulement à cliquer sur deux ou trois boutons.
Au départ, vous avez donc créé ces logiciels pour vos propres élèves. Par la suite, avez-vous eu des échos, des retours, en dehors de l’établissement où vous enseignez ?
G.B – En faisant partie du GREID (Groupes de Réflexion et d’Expérimentation Informatique Disciplinaires) SVT, un groupe qui publie des expérimentations pédagogiques sur les sites académiques, j’ai effectivement eu pas mal de retours. On m’a demandé un article pour le site de l’académie de Créteil, mais je n’ai pas eu de retour. Par la suite, quelqu’un l’a publié sur Facebook, et là ça a explosé ! Un autre article sur le site cafepedagogique.net a eu un bel impact aussi. Ca a permis par exemple à l’Université de Liège de découvrir le logiciel et de le présenter aux futurs profs de sciences ; j’ai pu échanger avec la responsable des enseignants du secondaire.
Vous dites que ce logiciel THYP « favorise l’appropriation de la démarche scientifique par les élèves », en l’occurrence des collégiens. Pouvez-vous donner quelques exemples ?
G.B – Cela pourrait être utilisé en lycée, mais en effet, c’est surtout adapté au collège. Face au logiciel, il y a tellement de possibilités que cela engage les élèves à élaborer eux même une stratégie de résolution des problèmes. Pour revenir sur cette expérience de germination, qui est l’une des premières activités que je propose en 6ème, je demande tout simplement : « Est-ce que les graines ont besoin d’eau pour germer » ? Sur les 25 élèves qui vont faire l’expérience dans ma classe, il y en a toujours 3 ou 4 dont la graine ne va pas germer. Les élèves doivent comprendre qu’en sciences, il faut répéter et reproduire les expériences. Les élèves doivent aussi penser à faire une expérience contrôle. Ensuite, je veux qu’ils mutualisent les résultats obtenus pour ne pas arriver à de fausses conclusions. J’utilise alors d’autres outils libres et collaboratifs, par exemple Framacalc, qui permet aux élèves de rentrer tous les résultats dans un tableau collaboratif, à l’issue de quoi ils dégagent une conclusion à partir de l’ensemble des résultats et pas seulement à partir d’une ou deux expériences.
Il s’agit donc en même temps de les former à une démarche collaborative. On peut imaginer que c’est extrêmement nourrissant pour eux ?
G.B – En tout cas, ils apprécient énormément. A d’autres moments, ils peuvent travailler sur la croissance des végétaux. Selon qu’ils mettent de l’engrais ou pas, les plantes vont toutes avoir des tailles différentes, ça ramène à un calcul de moyenne, à de la réflexion : est-ce qu’on tient compte des plantes mortes pour le calcul de la moyenne ? On est pratiquement dans la même situation que des scientifiques, en tout cas, on s’en rapproche bien plus qu’avec certains logiciels ou les manuels scolaires qui proposent de « beaux » résultats, sans qu’il y ait de réflexion derrière.
Concrètement, dans vos propres classes et dans votre établissement, de quel équipement informatique disposez-vous ?
G.B – Je suis référent numérique, avec un collègue : on a fait le nécessaire, et nous sommes école pilote . On est donc fort bien équipés, avec cinq chariots mobiles de 16 PC et deux salles informatiques qui disposent chacune de 24 PC. Les élèves utilisent donc l’informatique quasiment à chaque séance.
Est-ce que ces ordinateurs sont arrivés clé en main ou est-ce que vous avez eu à les passer sous logiciel libre ?
G.B – Ça dépend jusqu’à quand on remonte (rires). Depuis trois ans, c’est repris intégralement par le département, je ne gère quasiment plus rien et on a des ordinateurs qui fonctionnent parfaitement. Avant cela, j’avais récupéré ici et là de vieux ordinateurs, peu puissants, que j’ai passé sous distribution Linux en Lubuntu. Cela nous a permis d’ouvrir une seconde salle de PC. Et pour moi, ça a été le début de l’informatique !
Au début, vous n’étiez pas du tout programmeur. C’est venu assez facilement ou avez- vous eu besoin d’une formation ?
G.B – Je ne me considère pas trop comme un programmeur, j’ai juste appris un langage de programmation particulier via un logiciel qui s’appelle Twine et j’ai appris à coder uniquement sur cette plateforme-là. Twinery.org est un mélange d’html, de css et de javascript simplifié, ensuite ça me sort un fichier que je n’ai plus qu’à déposer sur un site Internet et ça fonctionne. Si on me demande de faire du Javascript, du PHP ou du Python, j’en suis incapable ! J’aime bien élaborer ma propre recette, rechercher sur des forums, copier un bout de code… Disons que je suis un programmeur néophyte.
Petite question saugrenue : parmi vos collègues au collège Jean de La Fontaine, quelles ont été les réactions ?
G.B – Mon collègue de physique utilise maintenant les mêmes logiciels que moi, je lui ai donné tout le code source puisque pour moi le code doit rester libre. Il l’a utilisé pour faire ses propres plateformes d’enseignement à distance. En revanche, il y a d’autres professeurs qui trouvent ça vraiment très bien, mais qui craignent que ça leur prenne trop de temps, et puis il y en d’autres pour qui ça leur est complètement égal. Donc, toutes sortes de réactions. En revanche, lorsque je donne des formations avec deux collègues pour l’enseignement de l’esprit critique et l’utilisation des données, on a repris la plateforme d’enseignement à distance que j’ai créée, parce qu’on n’avait pas accès à Moodle au départ. C’est assez drôle, parce qu’on veut juste parler de données mais à chaque fois les professeurs nous questionnent sur cette plateforme d’enseignement qu’ils trouvent claire et efficace.
L’un des objectifs de Faire école ensemble est d’arriver à stimuler cette communauté d’enseignants développeurs. Certains, comme vous, sont déjà en contact avec d’autres collègues, d’autres travaillent dans leur coin. Que peut vous évoquer cette idée d’une communauté d’enseignants développeurs, et dans quelle mesure pourriez-vous avoir envie d’y contribuer ?
G.B – J’ai l’impression que les autres enseignants-développeurs pourraient davantage m’apporter que ce que moi, je pourrais leur apporter. Parfois, je suis limité dans mes programmations, peut-être pourrais-je gagner du temps en étant associé à des personnes ressources… Mais surtout je trouve qu’il y a un manque de considération de l’Éducation Nationale. Ainsi, j’ai dû me débrouiller moi-même pour héberger tous mes logiciels alors que THYP figure dans la liste des logiciels recommandés pour préparer le CAPES ou l’agrégation interne de SVT. Un collègue de SVT dans l’académie de Nice, Philippe Cosentino, fait des logiciels de programmation extraordinaires, et il fait tout en libre. Il m’a complètement convaincu de l’importance de laisser les logiciels en libre, notamment pour les pays étrangers, pour pouvoir traduire, les adapter, etc. Il a pu bénéficier d’une cagnotte sur Facebook pour payer son propre serveur et permettre à de nombreux professeurs d’utiliser ses logiciels indispensables
Vous dites que vous consacrez à ces logiciels jusqu’à dix ou douze heures hebdomadaires, ce qui est énorme, sans aucune décharge horaire ?
G.B – Je relativise. C’est devenu un hobby, et comme je suis agrégé, j’enseigne un peu moins d’heures que mes collègues certifiés. Mais par ailleurs, il y a un logiciel qui va sortir sur le stress pour le programme de SVT au lycée, qui a obtenu plus de 60 000 euros de subvention pour faire, si j’ai bien compris, quelques expériences en réalité augmentée sur le stress des souris. Est-ce qu’il y a besoin d’une réalité augmentée, est-ce qu’il y a besoin de 60.000 euros ? 60.000 euros, c’est beaucoup plus que mon salaire annuel ! Ça pourrait permettre de décharger plusieurs professeurs pour coder des logiciels ou pour héberger des productions afin de répondre aux besoins du terrain. Et des logiciels produits par des boîtes privées, il y en a beaucoup, et certains sont parfois excellents, mais je trouve que ce n’est jamais totalement adapté. En ce moment tout le monde est passionné par Genially : une plateforme de création de contenu intuitive et esthétique. Mais il y’a des problèmes inhérents au logiciel privé et propriétaire. Par exemple, une mise à jour récente de Genially a rendu incompatible de nombreux addons créés par un collègue. Heureusement que ce collègue a pu les mettre à jour sinon tout son travail n’était plus compatible du jour au lendemain. On a le même problème avec le format flash qui a été très prisé par des collègues de SVT pour créer des ressources dans les années 2000 et qui est maintenant obsolète.
Vos logiciels sont très intéressants, mais ils ne sont pas cantonnés au domaine des SVT. Avec le logiciel « Bulle infinie », par exemple, qu’est-ce qui a déclenché cette idée ?
G.B – J’ai un collègue de physique chimie extraordinaire, on échange beaucoup, notamment sur l’épistémologie des sciences. Alors qu’on échangeait sur une vidéo de la chaîne Youtube «Monsieur Phi», on a découvert une histoire interactive avec du son où nous devions faire des choix philosophiques. Mon collègue et moi, on a tout de suite perçu le potentiel de ce genre d’expérience interactive. On s’est approprié le principe et on l’a adapté pour aborder l’argumentation et l’esprit critique. Quand on a sorti l’article sur le site GREID SVT de l’académie de Créteil et sur les réseaux, beaucoup de personnes nous ont contactés… On a transmis le code à quelques personnes, mais j’avoue que je n’ai pas encore vu de production. J’ai donné aussi le code pour mes escape games, mais au final, coder et s’approprier ma façon de coder est complexe… ça demande beaucoup d’investissement et ça limite donc les réappropriations. Tout ce que j’ai codé ne sera, très probablement, jamais repris par d’autres personnes.
Propos recueillir par Jean-Marc Adolphe et Hervé Baronnet