Des clés pour apprendre dehors.

En 2021-2022, dans le cadre de son plan de formation continue des enseignants, l’Académie de Lyon a proposé un module de six heures pour les initier et les accompagner à la pratique de la classe dehors. Plus de 200 participants ont suivi cette formation, qui sera reconduite lors de la prochaine année scolaire. À l’origine de cette initiative, Yvette Lathuilière, conseillère pédagogique départementale en éducation au développement durable, raconte ici la genèse et souligne les enjeux liés au développement de la classe dehors.

Vous êtes conseillère pédagogique départementale en éducation au développement durable pour l’Académie de Lyon, et à ce titre, vous avez initié en 2020 un vaste plan de formation sur l’école du dehors, à destination des professeurs des écoles. Avant d’évoquer plus précisément cette formation, quelles sont les sources, personnelles et professionnelles, qui vous ont conduit à vous intéresser à ce sujet ?

A titre personnel, je m’intéresse depuis longtemps aux questions environnementales. J’y ai notamment été sensibilisée au sein des compagnons de Saint-François d’Assise, un mouvement franciscain mais laïc, où la question de l’écologie, au sens large, était présente dès le début des années 1980.
Sur un plan professionnel, j’ai débuté dans l’Éducation nationale comme professeure des écoles, et j’ai ensuite passé une maîtrise en sciences de l’éducation, ce qui m’a permis de prétendre à un certificat (CAFIPEMF) et d’encadrer des enseignants-stagiaires, d’abord comme professeure-formatrice, puis conseillère pédagogique. J’appartenais par ailleurs à différents groupes de réflexions pédagogiques départementaux, que ce soit en mathématiques, en sciences, en maîtrise de la langue et en éducation au développement durable. La conseillère pédagogique qui était chargée du développement durable est partie dans la Drôme en 2016, et j’ai alors été amenée à la remplacer, sur son poste à temps plein ; ce qui est relativement unique. Je ne suis pas certaine que d’autres départements français disposent d’un poste à temps plein pour cette fonction sur le développement durable. C’est donc relativement novateur, mais dans le Rhône, ça existe déjà depuis plus de dix ans.

L’an passé, comment avez-vous eu l’idée de mettre en place un projet de formation à l’école du dehors, qui a touché un grand nombre d’enseignants ?

C’est tout un cheminement. Entre l’automne 2018 et le printemps 2019, j’avais participé à plusieurs sessions d’une Agora sur comment éduquer à la nature, comment mettre au centre du développement humain, l’éducation à la nature. J’avais rencontré des gens intéressants qui m’ont permis d’avancer dans la réflexion. Ainsi, on s’est retrouvés en 2019-2020 autour d’une recherche-action sur un territoire de Lyon, la Duchère, justement pour permettre aux enfants des écoles de se relier à la nature en profitant de la proximité du parc communal du Vallon. Ce parc a été rénové en 2014 par la Ville mais n’était pas investi par les enfants et les familles. Avec la circonscription et les chercheurs de Lyon 2 engagés à nos côtés, en lien avec le réseau Ecole et Nature (devenu le FRENE) et trois partenaires associatifs, on a lancé cette recherche-action qui a été interrompue par le premier confinement de 2020 lié au Covid : les immersions mensuelles démarrées en septembre, par six classes de CE1 (environ 70 élèves) se sont arrêtées mi-mars.
J’avais rencontré en 2019, Moïna Faucher-Delavigne et Mathieu Chéreau alors qu’ils conduisaient l’enquête approfondie relatée dans leur livre « L’enfant dans la nature. Pour une révolution verte de l’éducation » (Ed. Fayard). Quand j’ai compris, au printemps 2020, qu’ils reprenaient avec vigueur le sujet de la classe dehors, j’ai fait le lien avec notre travail. J’étais en rapport avec des acteurs de la Métropole, des acteurs associatifs dont l’ADES du Rhône (Association départementale d’éducation pour la santé) ; on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire du point de vue de la formation des enseignants. J’ai réfléchi avec mes collègues formateurs dans le cadre du groupe départemental pour l’éducation au développement durable, et parallèlement, s’est formé un collectif de sept associations métropolitaines pour l’éducation dehors. Nos volontés parallèles ont croisé l’envie d’essayer de faire le saut ensemble, grâce au soutien de la métropole de Lyon et en accord avec la direction académique.
Nous avons donc décidé de faire une proposition dans le cadre du Plan académique de formation. Ce que j’ai fait en juin 2021, et à la rentrée de septembre, alors qu’on pensait avoir une trentaine d’inscrits, on en avait 300 ! On a planifié des séances tous les mercredis de janvier à mi-mai mais malheureusement, compte tenu de la situation sanitaire, le Recteur a décidé de suspendre toutes les formations de janvier et février, jusque mi-mars, pour laisser les enseignants plus à la tâche dans leurs classes et les dispenser de sessions de formation pendant cette période ; ce qui a bousculé complètement notre calendrier. Nous avons dû tout reprogrammer au maximum des possibles de mi-mars à fin juin. Cela a forcément réduit un peu le nombre d’enseignants, certains n’étant plus disponibles pour ces nouvelles dates, mais on a quand même réuni 219 participants, et il y a de nouvelles demandes pour l’année prochaine.

Avant la crise sanitaire, la pratique de la classe dehors était relativement marginale. Les périodes de confinement ont certes contribué à ce que des enseignants s’y intéressent plus activement, mais est-ce la seule raison à cet engouement ?

Il y a au moins deux autres explications. L’une est liée au syndrome de manque de nature, identifié depuis 2005 par un certain nombre de recherches, notamment anglo-saxonnes. Ce manque de nature est éprouvé par de nombreux enseignants, tout autant que par les enfants. Les arbres de la cour d’école font partie du décor, mais on ignore bien souvent leur nom et leur mode de vie. Il y a un besoin de se connecter, et pour les plus âgés, de se reconnecter à la nature. Le deuxième facteur, c’est un besoin d’activités physiques, de davantage « s’aérer ». Voici quelques années, l’Académie de médecine a montré que seul un quart des enfants de six ans aujourd’hui ont un développement cardiaque équivalent à celui des générations d’il y a trente, ou quarante ans !
A cela, il faut ajouter des motivations pédagogiques. En étant dehors, le rapport direct au réel permet des expériences que l’on ne peut pas faire à l’intérieur. Cela vaut pour de nombreuses matières : – typiquement, en mathématiques, certaines notions sur les mesures et les ordres de grandeur peuvent être appréhendées plus justement. La conjugaison de toutes ces raisons explique la prise de conscience d’un vrai besoin, qui se traduit par un intérêt accru pour un enseignement dehors. Cela se développe fortement, et c’est désormais ancré chez de nombreux professeurs, principalement dans le primaire, et il y a aussi une volonté dans le secondaire. Mais dans le secondaire, une difficulté majeure tient à la configuration de l’emploi du temps : le plus souvent, les cours durent 55 minutes, ce qui est trop juste. Dans la classe dehors, les sorties durent a minima 2 heures, déplacements compris. Les professeurs des collèges et lycées doivent alors s’arranger et s’organiser entre eux.

Cet engouement que vous évoquez n’est cependant pas exempt de possibles appréhensions. Quelles sont celles que vous avez le plus fréquemment rencontrées ?

Les appréhensions les plus fortes sont liées au processus d’autorisation de la direction de l’école, voire de l’inspecteur ou inspectrice de circonscription, qui doivent à la fois valider un projet éducatif, c’est-à-dire une programmation d’apprentissages, et aussi toutes les questions de sécurisation des espaces qui vont être investis. Une autre appréhension est celle de l’accompagnement. Pour aller vivre des expériences variées liées à tout ce qu’on peut apprendre dehors, l’enseignant ne sort pas seul avec sa classe. Il faut être au moins deux, voire trois ou quatre, si l’on sort avec un groupe de 24 élèves ou plus ; pour travailler en petits groupes, et pas toujours en collectif – classe. Les enseignants peuvent solliciter l’accompagnement de parents, ce qui a une double vocation : – d’une part, cela contribue à l’encadrement du groupe, a minima à la surveillance de ce que font les enfants, et cela montre aussi aux parents que la classe dehors n’est pas une simple sortie récréative. Mais, selon les territoires, les parents sont plus ou moins en capacité de se rendre disponibles pour accompagner la classe de leur enfant.

Même si l’objet de la classe dehors n’est pas récréatif, cela permet tout de même un temps de respiration, dans tous les sens du terme. Il semble que cela puisse être bénéfique au rythme de l’enfant, qui est différent de ce que l’on désigne par « rythmes scolaires ». Le fait d’avoir des rythmes multiples dans une journée facilite peut-être la capacité de concentration dans les moments d’apprentissages …

C’est une préoccupation que j’ai depuis longtemps. En France, on n’a pas réussi à suffisamment impliquer pédiatres, ou pédo – psychiatres pour une prise en compte effective des rythmes circadiens de l’enfant dans nos choix de rythmes scolaires. Mais oui, ces sorties immersives, régulières, dehors doivent permettre de rythmer le calendrier scolaire pour favoriser des apprentissages spécifiques et bénéfiques à la bonne santé des élèves. A la suite de la recherche-action que nous avons menée sur Lyon 9 – la Duchère, une doctorante vient d’être engagée par la ville de Lyon et l’université de Lyon 2 – Laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs – afin de suivre pendant deux ans des enfants de CE1, puis CE2 – qui vont régulièrement faire la classe dehors – et mesurer les effets des activités de nature sur les mécanismes cognitifs (concentration, attention, mémorisation ,compréhension, …).Tout un travail de recherche qui est en train de s’affiner, avec la participation des enseignants.

Tôt ou tard va se poser la question de l’évaluation des pratiques de la classe dehors, peut-être avec des critères d’évaluation différents de ceux qui sont mis en œuvre dans l’Éducation nationale. Cette recherche action est déjà un élément de réponse, mais avez-vous pensé à la façon dont ces pratiques pourront être évaluées ?

C’est une étape indispensable qui va se dérouler en deux temps : – évaluation de la formation des enseignants et évaluation des acquis des élèves. Avec les associations et les enseignants impliqués dans cette formation, on finalise ce mois de juillet, un premier bilan de ce qu’on a vécu cette année. Pour la thèse future, on définit un protocole d’évaluations fondé sur des tests réguliers qui mesureront l’évolution des mécanismes cognitifs des enfants. Jusqu’à présent, on était principalement sur une évaluation de la formation des enseignants : ce qu’ils attendaient et ce qui peut leur manquer pour oser se lancer ou pour construire un plan d’apprentissages, en alternant les séances dedans et les séances dehors.

Cette formation vient de s’achever. Les premiers « résultats » seront sans doute perceptibles dès la rentrée prochaine ?

C’est assez hétérogène. Quelques enseignants avaient déjà commencé à faire la classe dehors et avaient besoin de renforcement. D’autres vont se lancer. Et on va proposer une seconde année de formation, sur la structuration des séquences d’apprentissages, qui correspond à une demande des enseignants : comment enchaîner les séances au fil des semaines.

Vous évoquiez aussi, dans l’élaboration et la préparation de cette formation, l’implication d’acteurs extérieurs à l’Education nationale. Cela est sans doute habituel avec des collectivités territoriales, mais peut-être moins avec des milieux associatifs (santé, éducation à l’environnement…). Il n’y a pas eu de réticences d’enseignants face à une telle ouverture ?

Au contraire, ils y étaient très favorables. Et dans le cadre de l’éducation à l’environnement et au développement durable, ces partenariats existent déjà. Sur un tel sujet, et plus largement sur l’éducation à la nature, on a besoin de partenaires locaux et de compétences spécifiques. Ce sont des mondes qui se méconnaissent parfois. Le ministre de l’Éducation nationale indique que l’éducation au développement durable va faire l’objet de nouvelles circulaires d’ici la prochaine rentrée. Dans le prolongement des modifications des programmes de 2020, de la maternelle à la fin de l’obligation scolaire, l’ambition de construire une culture civique fondée sur la conscience écologique de nos élèves, sera ré – affirmée et étayée. Les associations ne sont pas toujours informées de ces orientations. C’est quelque chose qui est en train de se construire ; le travail que nous avons engagé autour de cette formation a permis de se rapprocher, de mieux se comprendre.

Toutefois, le souci reste encore beaucoup celui du financement de telles actions partenariales, mais il y a des possibilités. La formation mise en place sur l’Académie de Lyon a été principalement financée, aux trois quarts, par la métropole de Lyon, le reste étant pris en charge par la direction académique ; sachant qu’il existe depuis quelques années déjà une convention entre le rectorat de Lyon et la métropole. Autour des questions d’éducation à la nature et de classe dehors, la prise de conscience s’accroit, pour le bien-être des élèves et des enseignants. Aujourd’hui, des communes se préparent à accompagner des démarches d’enseignants et, s’il le faut, à financer une partie des besoins.


Propos recueillis et édités par Jean-Marc Adolphe.

Cet article est placé sous licence CC-BY-SA 4.0.

Cet entretien est publié dans le cadre de l’action classe-dehors : classe-dehors.org

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