Audrey Ledoux : « SacAdo, un outil pédagogique pensé par des enseignants et pour l’enseignement »

Entretien avec Audrey Ledoux, co-animatrice de la plateforme en ligne SacAdo,
qui propose « un outil pédagogique pensé par des enseignants et pour
l’enseignement »

 

Enseignante au lycée français de Florence, Audrey Ledoux est l’une des six membres
bénévoles de l’association SACADO, qui partagent la volonté de proposer un outil numérique
gratuit pour les enseignants et animent avec passion une plateforme en ligne d’ores et déjà
utilisée par plus de 4.300 enseignants et près de 104.000 élèves.
Créé en mars 2020 par deux enseignants : Philippe Demaria, enseignant de mathématiques
au lycée français de La Marsa (Tunisie) et Bruno Serres, professeur de mathématiques au
lycée français de Managua (Nicaragua), SacAdo est un outil pédagogique de formation et de
suivi dont les options permettent à chaque enseignant d’adapter son utilisation à ses choix et
besoins pédagogiques, en mathématiques, en sciences physiques et chimie, et en NSI, pour
tous les niveaux d’enseignement, de la maternelle à la Terminale.

https://sacado.xyz/


Vous faites partie de l’équipe qui anime la plateforme SacAdo. Qu’est-ce qui vous conduit à
rejoindre ce projet ?
Audrey Leroux : C’est une longue histoire, avec de petites graines qui ont été semées dans mon
parcours. J’ai fait des études de chimie très approfondies, et dans ce cadre, je me suis intéressée à la
chimie numérique, qu’on appelle aussi computationnelle, qui consiste à simuler la place des électrons
dans les molécules. Cela utilise des logiciels très complexes, d’ailleurs non libres. Pour utiliser ces
logiciels, j’ai dû installer le système d’exploitation Linux, et j’ai commencé à prendre goût à la liberté
que ça offre, alors qu’au départ, apparemment comme beaucoup de femmes, je n’étais pas
spécialement intéressée par l’informatique.
Je me destinais à être ingénieure en chimie, et puis j’ai complètement changé d’orientation pour
devenir enseignante. Des raisons diverses m’ont amenée en Italie ; je suis entrée au lycée français
de Florence en tant qu’enseignante de physique chimie, et puis, assez rapidement, j’ai été amenée à
donner aussi des cours de technologie et de NSI. J’ai alors remis les mains dans l’informatique, avec
les cartes de commande Arduino, Microbit avec Python, etc. Là-dessus est arrivée la réforme du
lycée, avec la possibilité de passer un diplôme pour enseigner l’informatique au lycée. Là, je me suis
prise de passion pour le monde de l’informatique, l’algorithmique, le langage de programmation
surtout Python, et puis la création numérique est arrivée tout naturellement. Lors de cette formation
diplômante, j’ai rencontré des collègues tout aussi passionnés qui ont commencé, pendant le
confinement, à construire une plateforme de ressources pédagogiques libres. Ils utilisent un logiciel
libre, Geogebra, sans lequel nous n’aurions pas pu réaliser SacAdo. L’intérêt du libre, c’est de
pouvoir faire avancer la communauté des ressources numériques.

Beaucoup des établissements qui se sont abonnés à Sacado sont des établissements français à
l’étranger. Comment l’expliquez-vous ?
L’initiative est née pendant le premier confinement ; il y a eu une nécessité très forte à l’étranger
d’utiliser des outils numériques, notamment dans certains pays qui ont eu un confinement très long
et rigoureux comme ça a été le cas en Italie, où on est resté plusieurs mois sans se voir ni mettre le
pied dehors. D’autre part, les fondateurs de Sacado font partie du réseau de l’AEFE (Agence pour
l’enseignement français à l’étranger), et c’est donc là, par le bouche-à-oreille, que la plateforme a
commencé à être diffusée.


Les statuts de l’association mentionnent très clairement le travail coopératif et la co-formation des
enseignants. Cet aspect coopératif est très important pour vous.
C’est fondamental. On a créé l’association très rapidement, pour accoler SacAdo à une démarche
éthique, avec la volonté de dire que c’est fait par des enseignants, pour les enseignants. De fait, les
enseignants se sont sentis libres de nous faire part de leurs remarques, de signaler ce qui pouvait être
amélioré. On échange avec eux en permanence, et il nous a paru très naturel de créer une association
pour initier une réflexion commune sur l’usage des outils numériques dans la pratique pédagogique,
qui soulève des questions très vives.


Quelle est la proportion d’enseignants qui, d’utilisateurs, deviendraient ensuite contributeurs,
auteurs d’exercices ou de parcours ?
Au début, nous avions essentiellement des exercices codés en Geogebra. On avait du mal à trouver
des contributeurs parce que c’est complexe et très chronophage. Avec l’évolution des besoins, on a
associé d’autres outils, comme LaTex, un langage de plus en plus connu par les enseignants qui
permet de mettre en page des exercices avec des formules mathématiques ou scientifiques. On a un
autre outil qui est celui des flashcards, des cartes de mémorisation de type Les incollables, qui
semblent très intéressants, selon les neurosciences pour la mémorisation dans les
matières scientifiques. Les contributions se mettent en place. C’est un site qui est vraiment en
effervescence


La grande majorité des enseignants-développeurs avec lesquels nous avons mené des entretiens
intervenaient dans le primaire. Or, sur SacAdo, il y a d’ores et déjà des exercices et des parcours
pour des classes de première et de terminale, et même quelques exercices pour des classes
préparatoires.
On veut en effet casser les barrières entre enseignement secondaire, enseignement supérieur,
enseignement maternel, enseignement primaire, et promouvoir l’interdisciplinarité, communiquer
entre les différentes matières. On fait la jonction entre les différents niveaux, et ça permet de
grandement s’améliorer en tant qu’enseignants.


Avec le nombre d’enseignants, d’élèves et d’établissements scolaires qui vous suivent, on imagine
que le ministère de l’Éducation nationale est vivement intéressé par votre initiative. Est-ce le cas ?
On est en train de s’accrocher au GAR, le gestionnaire ministériel d’accès aux ressources, qui permet
de sécuriser les données des élèves. Et puis, on a été repérés par une section de la DNE pour le
développement des logiciels libres et la mise en commun de ressources pédagogiques, on nous a
expliqué que le ministère a la volonté de favoriser l’émergence de logiciels numériques pour
l’éducation, français, qui puissent prendre un peu d’indépendance sur des sites commerciaux de
grandes multinationales.

Votre enthousiasme fait penser, toutes proportions gardées, à celui qui animait les initiateurs de
premières radios libres, au début des années 1980 Il y a quelque chose de relativement pionnier,
le sentiment de développer collectivement quelque chose qui est en train de s’élaborer, qui n’est
pas encore pleinement reconnu.
Il y a de ça. On a l’impression de fonder certaines bases pour demain. Au fur et à mesure que l’on
avance, on se rend compte de l’enthousiasme des collègues, de l’enthousiasme des élèves à l’usage
d’un outil pédagogique qui a été pensé par l’enseignant et pour l’enseignement. On le voit dans les
résultats des élèves, on voit qu’on les aide véritablement. À partir de là, les questions fusent : en quoi
les aide-t-on, quel est l’apport véritable du numérique dans l’apprentissage de l’élève, qu’est-ce qu’on
peut faire avancer et comment le diffuser aux autres élèves et aux autres enseignants, comment
partager tout ce que l’on voit sur le terrain ? On se pose aussi beaucoup de questions par rapport aux
apports didactiques selon les neurosciences, qui est un autre aspect émergent de la pédagogie.


Les enseignants qui s’intéressent à SacAdo, sont-ils déjà motivés par l’univers du libre, ou bien
viennent-ils simplement en tant qu’utilisateurs, parce qu’ils trouvent l’outil pratique ? Comment la
philosophie du libre, qui est essentielle au projet, se diffuse-t-elle à travers les exercices, parcours,
modules que vous mettez en ligne ?
Les enseignants qui nous contactent sont conscients de ces enjeux, tout particulièrement ceux qui
nous indiquent des choses à améliorer. Cette volonté de voir évoluer l’outil, et d’y contribuer, émane
d’enseignants qui connaissent déjà l’univers du libre. Ceci dit, comme les premiers exercices que nous
avons proposés étaient assez difficiles à réaliser, on n’a pas encore exploité tout le potentiel de cet
univers, mais avec l’arrivée des exercices en LaTex, où le code source est facilement modifiable, on a pu
solliciter davantage chez les enseignants cette fibre du libre et de la contribution aux ressources
éducatives numériques.


Dans votre propre pratique d’enseignante, mais aussi par les retours d’autres enseignants qui
utilisent SacAdo, qu’est-ce que cela change en termes de pratique pédagogique ?
Tout d’abord, l’enthousiasme dont on parlait à l’instant transparaît en classe ! Chacune de mes
séances de classe est imprégnée par cet usage du numérique et de l’informatique. Avec SacAdo, je
n’hésite pas à montrer ce qui marche, ce qui ne marche pas. Et les élèves eux-mêmes commencent à
contribuer, c’est très stimulant.
J’ai mis en place des quizz rituels où les élèves peuvent répondre directement. Ce rituel, à chaque
cours, est très important pour que les élèves se concentrent dans la séance. Ces exercices individuels,
avec un feedback instantané, concernent des compétences ciblées, très simples, qui permettent de
travailler les automatismes des élèves. Cela permet qu’ils ne butent pas sur des choses élémentaires,
et donc de valider des savoir-faire fondamentaux pour pouvoir passer à une problématisation plus
complexe des mêmes compétences mises en jeu. L’outil numérique en soi permet vraiment
d’individualiser le travail des élèves et le retour de la correction.


Cela permet aussi une certaine forme d’auto-évaluation des élèves ?
Absolument ! C’est le principe même des exercices avec retour correction. Cela permet vraiment une
autonomie des élèves, une auto-gestion des besoins en apprentissages. C’est un des principes de
l’apprentissage adaptatif que nous promouvons. et ils aiment l’interface numérique, cela correspond
à leur génération.

SacAdo est une plateforme qui est amenée à s’enrichir. Comment voyez-vous SacAdo dans cinq
ans ?
J’espère que ce sera un outil multiusage pour les enseignants et un canal d’enrichissement dans le
domaine du développement des ressources numériques éducatives, totalement intégré dans leur
pratique tout simplement parce qu’ils n’auront eu de cesse de nous dire de quoi ils ont besoin.


Vous disiez au début de cet entretien que vous avez suivi des études assez poussées en chimie.
Vous avez passé un doctorat, et même déposé un brevet. Vous auriez pu gagner beaucoup d’argent.
Pourquoi avoir choisi la voie de l’enseignement ?
En effet, j’ai passé à l’étude de longs entretiens pour travailler dans de grands groupes, notamment
un célèbre groupe pétrolier que je ne citerai. Mais, voilà, après cinq ans dans la chimie
(travaux de master et de doctorat), j’avais fait le tour et ça ne « crépitait » plus, le champs des
possibilités me semblait trop restreint. Il était évident pour moi que ce n’était pas ma voie. Et j’ai
toujours été animée par cette passion de l’enseignement, de la recherche, de la transmission.


Si le ministère de l’Éducation nationale décidait de financer ce travail d’enseignants-développeurs,
vous permettant ainsi de vous y consacrer à plein temps, quelle serait votre position ?
J’adorerais, ce serait une nouvelle page et un nouveau challenge valorisant, tout en gardant un
pied dans la classe parce qu’il est fondamental pour créer des ressources éducatives de rester en
contact avec les apprenants. L’informatique est devenue une deuxième passion et j’ai la chance de
pouvoir mélanger les deux.


Avec SacAdo, vous formez déjà une communauté, mais de façon plus large, qu’attendez-vous d’une
communauté d’enseignants-développeurs que cherche à promouvoir la Fabrique des communs
pédagogiques ?
Nous sommes tous plus ou moins autodidactes. Il faut créer des liens et donner du sens. Et donc, tout
ce qui peut contribuer à la collaboration, à l’échange de pratiques autour des outils numériques et de
leur développement pour les enseignants, au partage de réflexions, est extrêmement précieux.

 

Propos recueillis par Jean-Marc Adolphe et Hervé Baronnet.

Cet article est placé sous licence CC-BY-SA 4.0

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